pourlesexiles

textes de André Gunthert, Jean Pierre Allaux
et Cyrille Latour
Éditions filigranes

Paris
2009
pourlesexiles retrace le parcours d’une image sur les murs de la ville.
Une image qu’on ne veut pas voir.
Une affiche qui reprend la charte graphique utilisée pour la libération de Florence Aubenas en 2005 (avec son soutien).

En 2002 Nicolas Sarkozy ferme le centre de Sangatte, officiellement pour des raisons de sécurité.
Les journalistes n’ont plus de lieu déterminé pour témoigner de la situation des migrants.
La police sépare les groupes de demandeurs d’asile dans la rue pour les rendre moins visibles.
pourlesexiles follows the path of an image along the walls of the city.
An image that can not be seen.
A poster that reuses the graphic chart used for the liberation of Florence Aubenas in 2005 (with her support).

In 2002 Nicolas Sarkozy closed the center at Sangatte, officially for questions of security. Journalists no longer have a defined space to witness the conditions of migrants. The police separate the groups of asylum seekers in the streets so as to render them less visible.






L'identité parasite / 
André Gunthert


Quel est le rapport entre portrait et identité ? Sur les papiers du même nom, le bon sens suggère que c'est l'existence qui précède la représentation, l'identité qui détermine le portrait. Mais on peut aussi observer la relation inverse. Tout comme Trotsky est gommé par la propagande stalinienne, l'histoire de France selon Job ne connaît que Gaulois et François. Ont-ils existé, juifs, roms, Italiens, Polonais et autres migrants ? Rien dans l'image ne trahit leur contribution à l'essor de la nation. Exilés de la représentation, ils le sont du même coup de l'histoire.

Les sans-papiers sont sans-images. Effacée de l'espace légitime où chacun croit avoir droit d'apparaître, leur identité vagabonde s'étiole et disparaît. Le lien de l'existence à la représentation peut donc se parcourir dans les deux sens. Refuser à quelqu'un son portrait est susceptible de menacer son existence.

Pourquoi afficher sur les murs le visage de Florence Aubenas, sinon parce qu'on a vu dans ce rappel une façon d'empêcher son effacement des mémoires – un puissant moyen pour lui sauver la vie ? C'est en vertu de cette loi visuelle que Sylvain Gouraud a entrepris de ramener dans l'image les traces de ceux qui erraient dans les limbes.

En empruntant un modèle de l'univers médiatique, il leur a restitué ce qu'on pourrait appeler une identité parasite. Une identité de contrebande, indésirable, forçant les règles, pied dans la porte. Comme toute contrefaçon, celle-ci n'a pu résister longtemps à la police des images. Là n'est pas le plus important.

Eliminer un parasite ne prémunit jamais contre la menace de son retour. Telle est aujourd'hui la crainte des producteurs légitimes des représentations. Car de partout ils voient le corps social réinvestir son propre portrait.

Armés de caméraphones et d'internet, dans les banlieues ou dans le tiers-monde, tous ceux à qui l'on avait jusqu'à présent refusé de figurer dans l'image sont en train d'y reprendre pied. Détournant les outils de leurs fonctions, ils font circuler les manifestations d'une identité parasite qui met en crise les systèmes autorisés.

Lorsqu'on vit du bon côté du portrait, on n'imagine pas la souffrance de ceux qui sont exclus de l'image. Ni leur joie à se voir enfin représentés à leur ressemblance. Que ce soit la vidéo d'un mariage à Bamako ou celle d'un adolescent qui danse la tecktonik, sur les visages, on voit le même sourire.

Car l'image parasite a aujourd'hui le vent en poupe. Autrefois, c'était Hollywood qui décidait à quoi il fallait ressembler. Désormais, l'industrie culturelle court après ces contenus, s'essaie à les copier, s'épuise à les reproduire. Comme pour capter l'énergie qui les habite.

Nous le discernerons plus clairement avec le temps. C'est tout un système qui bascule, irrémédiablement. Par des voies d'emprunt, le portrait est en train de se recréer une nouvelle identité. Quand il sera devenu trop coûteux de surélever encore les murs, aucune frontière ne pourra plus l'arrêter.